Czesław Miłosz et Ars magna. Rythme et composition dans «The Noble Traveller» et «Storge»

Rolf Fieguth

Université de Fribourg/Suisse

Czesław Miłosz et Ars magna[1]

Rythme et composition dans The Noble Traveller et Storge

A mon sens, Los [le temps] figure le rythme qui prend sa source dans les pulsations du cœur humain ; voilà pourquoi il peut agir comme un poète cosmique qui, rythmant tout instant et toute chose, leur donne des formes indestructibles et les sauve ainsi de l’oubli du temps qui passe et jamais ne revient. [2]

Dans les dernières années de sa vie, Czesław Miłosz se construit  une image à la façon d’un triptyque qui le présente moitié dominé, moitié encadré par deux maîtres ou guides, Adam Mickiewicz et Oscar Vladislas de Lubicz Milosz[3], originaires comme lui-même du feu Grand-duché de Lituanie. Ce triptyque est  lourd de sens et d’implications multiples et serait digne d’une monographie d’au moins 300 pages[4]. La présente  étude se concentre sur des aspects apparemment secondaires de ce très vaste sujet, à savoir  des questions de rythme et de techniques de composition dans les réactions de Czesław Miłosz à Oscar Milosz, et plus précisément dans les traductions anglaises et polonaises que Czesław a faites des textes d’Oscar de Lubicz Milosz. L’étroitesse de notre champ d’étude  semble être justifiée pour au moins deux raisons. L’une relève d’une sorte de déséquilibre dans notre perception des rapports entre les deux poètes, dont l’origine réside d’ailleurs dans les multiples commentaires du cadet. En fait, Czesław Miłosz s’est abondamment prononcé au sujet de l’attraction que le penseur et poète français Oscar Milosz exerçait sur lui-même tant dans la sphère métaphysique et religieuse qu’en ce qui concerne les tâchesessentiellesde la poésie. Mais le neveu polonais a décliné toute influence poétique de l’oncle français, dont les poèmes, mais probablement aussi les proses, lui semblaient problématiques à cause de leur proximité des styles du soi-disant symbolisme français ou de la Jeune Pologne[5]. Ce serait pourtant une erreur d’en tirer la conclusion que le côté « technique » de l’oncle n’aurait pas intéressé le neveu. Le seul fait que le cadet ait traduit des poèmes et des proses de l’aîné témoigne déjà du contraire. Ils étaient tous les deux d’accord pour refuser aux techniques d’écriture une prééminence ou  autonomie. Mais ceci ne les a pas empêchés d’appliquer leurs procédés rythmiques et autres très consciemment, en leur confiant même le soin de suggérer un message,  tels des chiffres secrets[6]. Une autre question est de  savoir quel est le caractère, quel est le statut de ce secret. Czesław Miłosz   constatait  non sans raison : « Oscar Milosz  […] voulait « verrouiller » ses écrits, les chiffrer de façon à en interdire l’accès aux non-initiés » [7]. Mais à ce qu’il me semble sa position personnelle était de toute façon différente: il était de ceux qui ont consenti un grand effort pour entrer dans l’univers de Oscar Milosz  et il a voulu rendre accessible aux autres ce qu’il  a pu en saisir. Le procédé-chiffre chez Czesław  est peut-être une manière de guider le lecteur à son insu.

*

Dans les années 1970, Czesław Miłosz se lance, au milieu de ses études théologiques et bibliques, dans un projet peu remarqué : il traduit en anglais Ars Magna et Les Arcanesd’Oscar de Milosz, qui entreront ensuite dans le volume The Noble Traveller (1985).Ce volume américain, qui comporte aussi un large choix de poèmes lyriques du poète français[8], peut être considéré comme une sorte de prédécesseur de l’édition polonaise Storge que Czesław Miłosz publiera en 1993, à l’âge de 82 ans, après son retour en Pologne, puis  en Lituanie. Le mot énigmatique du titre est d’ailleurs un mot grec choisi par Oscar  pour désigner un amour libre de tout désir charnel, un amour qui serait  à la base de tout sentiment religieux, de toute expérience métaphysique. Il désigne aussi une personne allégorique à laquelle au moins un des textes est adressé (l’Epître à Storge).

Czesław, qui ne figure pas parmi les traducteurs des nombreux poèmes de The Noble Traveller, avait préparé, et même publié, quelques poèmes d’Oscar en version polonaise  dans les années 1930. J’ai tenté ailleurs de me rendre compte du rôle que ces traductions ont pu jouer pour les recherches prosodiques et rythmiques que Czesław a entreprises dans sa propre écriture lyrique[9]. Ici, j’aborde, entre autres, une pareille démarche pour la prose.

*

Ars Magna est composé de quatre traités ou poèmes en prose Epître à Storge, Memoria, Nombres et Turba Magna ainsi que Lumen, poème en versets. Tous ces écrits ne sont pas le fruit d’un seul acte créateur, mais découlent de la même révélation qu’Oscar a vécue en décembre 1914 et forment un ensemble, auquel s’est ajouté plus tard le poème-traité Les Arcanes[10]. C’est surtout la poésie métaphysique en prose d’Oscar qui faisait problème pour Czesław. On peut s’en convaincre en lisant les passages consacrés à son oncle dans La Terre d’Ulro[11], mais aussi en particulier la préface à Storge. Czesław s’y exprime  brièvement et presque à mi-voix, pour évoquer la  difficulté qu’il a éprouvé à transmettre à un public sécularisé les conceptions très ésotériques de son oncle[12]. Dans cette situation, le choix de l’anglais comme langue cible d’une première traduction d‘ Ars Magna et des Arcanes prend un sens spécifique. Traduire les méandres mystiques, syntaxiques et rythmiques de la prose d’Oscar de Milosz en anglais, langue riche mais down to the earth, sobre et ennemie des longues périodes, représentait certes une tâche extrêmement difficile. D’un autre côté – et je parle aussi de ma propre expérience – traduire de pareils textes d’une langue étrangère dans une autre langue étrangère peut paradoxalement produire un effet d’allègement, de libération et même d’enthousiasme, notamment pour le travail au niveau stylistique[13]. Pour Czesław Miłosz, choisir l’anglais l’aidait à échapper aux litanies et coloratures du discours métaphysique traditionnel en polonais, marqué par le ton ‘grand-opéra’de Słowacki, Krasiński et des traducteurs de Nietzsche[14]. Il est vrai que les écrits d’Oscar de Milosz sont riches  de spéculations on ne peut plus sublimes et condensées, et il me semble évident que Czesław ne les a pas acceptées dans leur totalité. Mais les faire passer par le filtre anglais lui permettait d’y redécouvrir et révéler le sérieux d’une parole chaste sans être prude, décontractée car sûre de sa cause, immédiate tant dans ses passages constitués de brèves unités syntaxiques que dans ses hypotaxes et ses longues roulades transphrastiques, élégante sans suffisance ou rhétorique vide, apte tant à des explications en prose proches du quotidien qu’à des envols lyriques allant jusqu’à la  tendresse amoureuse. D’ailleurs Czesław lui-même parle de tout cela avec plus de circonspection, mais laisse entendre que sa version anglaise serait sensiblement plus transparente que l’original français[15].

Les cinq parties d’ Ars Magna sont liées par le thème qu’elles partagent et par des transitions enchaînant sans contrainte la fin d’un texte au début du suivant, grâce à  de discrets  contrastes, des reprises et des parallèles. Dans l’ensemble, leur aspect formel semble refléter l’idée  fondamentale d’Ars Magna, celle d’un mouvement éternel.

*

Selon Ars Magna, le mouvement éternel du sang qui unit l’homme au cosmos, précède et crée l’union mystique de l’espace, de la matière et du temps[16]. Le principe du mouvement vaut également pour l’origine du monde[17], pour le sens de la souffrance, et pour les arts. Pour ce qui est de la souffrance, Czesław la met en relation avec l’idée de synchronie universelle (annulation de la chronologie temporelle) et avec le rôle du sang et arrive à ce résumé de la pensée de son maître: « L’acte de la Création est contemporain de la Crucifixion, et chaque moment de la vie sur terre est une souffrance que Dieu se cause à lui-même »[18].

Mais en vertu de « l’intuition orphique » le principe du mouvement vaut aussi pour les arts [19]. Ici, le mouvement devient rythme en tant qu’« expression terrestre la plus haute  […] de l’amour du Mouvement » (VII, 24). Oscar développe cette conception à partir de sa définition du mot « amour », « mot auguste, enchanteur et effrayant » (VII, 23).L’amour est d’abord « l’éternel féminin-divin » d’Alighieri et de Gœthe, « l’accord humain parfait » (VII, 23), mais il devient aussi rythme dans les arts :

Au sens universel enfin, [l’amour est] l’intuition orphique, qui nous enseigne à déverser la surabondance de notre mouvement dans le cœur fraternel de la pierre, à animer le corps le plus humble, à le poser en son lieu et son temps avec cette tendresse délicate et cette infaillibilité amoureuse qui nous permettent de situer en lieu sûr et temps propre le mot et le son dans le poème, le muscle et le pas dans la danse, le ton et l’accent dans la diction, la ligne maîtresse de mouvement et de vie dans la sculpture, la première vibration de couleur et la dernière en peinture, en architecture, enfin, la pierre et la solive, dans une harmonieuse et logique répartition de l’effort. Le rythme est l’expression terrestre la plus haute de ce que nous appelons pensée, c’est-à-dire de la constatation et de l’amour du Mouvement.

(VII 24)

L’intuition orphique est donc mise en parallèle avec l’acte créateur de Dieu.

      Or, l’idée fondamentale selon laquelle le mouvement domine aussi bien  la cosmologie que les arts où il devient rythme se reflète secrètement dans les mouvements rythmiques de la prose du poète français, notamment dans le passage  qui vient d’être cité, mais aussi dans les traductions anglaise et polonaise que Czesław Miłosz en a élaborées.

Pour mieux percevoir le schéma  rythmique  de ce texte qui traite lui-même  du rythme, on peut le découper en plusieurs unités[20]  mises en regard avec  les deux traductions de Czesław:

 Au sens universel enfin,In its most universal meaning, finally,W najszerszym wreszcie znaczeniu,
 l’intuition orphique,love is the orphic intuitionorficka intuicja,
 qui nous enseigne à déverserthat teaches us to pour outktóra nas uczy,
 la surabondance de notre mouvementthe superabundance of movementjak przelewać nadmiar naszego ruchu
5dans le cœur fraternel de la pierre,into the fraternal heart of a stone ;w braterskie serce kamienia,
 à animer le corps le plus humble,to animate the most humble body,jak ożywiać najskromniejszą nawet cząstkę materii,
 à le poser en son lieu et son tempsto put it in its place and timejak dla niej znaleźć jej miejsce i jej czas,
 avec cette tendresse délicatewith that delicate tendernessz tą delikatną czułością
 et cette infaillibilité amoureuseand that loving infallibilityi z tą serdeczną nieomylnością,
10qui nous permettent de situerwhich permits us to situate,dzięki którym
 en lieu sûr et temps proprein a safe place and in its own time,umiemy wybrać właściwe miejsce i właściwy czas
 le mot et le son dans le poème,word and sound in a poem,dla słowa i dźwięku w wierszu,
 le muscle et le pas dans la danse,muscle and step in a dance,dla mięśnia i kroku w tańcu,
 le ton et l’accent dans la diction,tone and accent in speech,dla tonu i akcentu w dykcji,
15la ligne maîtresse de mouvement et de vie dans la sculpture,the governing line of motion and life in sculpture,dla osi ruchu i życia w rzeźbie,
 la première vibration de couleurthe first as well as the last vibrationdla pierwszej i ostatniej wibracji kolorów w malarstwie,
 et la dernière en peinture,of color in painting,wreszcie,
 en architecture, enfin, la pierre et la solive,and, in architecture, stone and beamw architekturze dla kamienia i belki,
 dans une harmonieuse et logique répartition de l’effort.in harmonious and logical distribution of effort.tak żeby ich obciążenie było rozłożone harmonijnie i logicznie.
20Le rythme est l’expression terrestre la plus hauteRhythm is the highest earthly expressionRytm jest najwyższym ziemskim wyrazem tego,
 de ce que nous appelons pensée,of what we call thought,co nazywamy myślą,
 c’est-à-dire de la constatationthat is the awarenessto jest konstatacją
 et de l’amour du Mouvement.and love of Movement.i miłością Ruchu.
 (VII 24)(NT 240-241(St 44)

On voit que dans l’original, les unités rythmiques se distinguent par une longueur moyenne de 9 à 10 syllabes, parfois plus, parfois moins, d’où un jeu de durée croissante ou décroissante. En général, le mouvement rythmique y est harmonieux et serein. La version anglaise de Czesław suit normalement ce mouvement, mais y ajoute ici et là des figures rythmiques plus distinctes: « to put it in its place and time » (v. 7); « word and sound in a poem, », « muscle and step in a dance, », « tone and accent in speech, » (vv. 12 à 14). La traduction polonaise de Czesław évite plutôt ce genre de formules rythmiques, mais, comparée avec l’original, elle fait tout de même preuve d’un plus grand dynamisme rythmique, de plus grands contrastes entre unités brèves et  longues. Il est d’ailleurs intéressant de voir que le traducteur s’écarte deux foisde la segmentation rythmique de l’original dans sa traduction polonaise  (vers 16 et 19). Cette dernière est un peu plus rauque que l’original (et que la version anglaise également), sans doute en raison des efforts du poète polonais pour éviter qu’il s’en dégage une harmonie  trop douce.

Un autre schéma  rythmique et syntaxique, moins doux et harmonieux, se manifeste dans un autre passage du même texte que nous citons de nouveau en unités rythmiques isolées, avec sa traduction anglaise et polonaise :

 Là-bas, je ne sais pas,Over there, I know not where,Tutaj więc, nie wiem już gdzie,
 l’immobile Illimité ;the immobile Limitless :nieruchoma Bezgraniczność .
 ni mouvement, ni lieu ;neither movement nor place ;ani ruchu, ni miejsca :
 un je ne sais quoi something, I don’t know what,coś nieokreślonego,
5qui est un totalwhich is the totality 
 de tout ce qui est,of everthing there is,co równa się wszystkiemu, co jest,
 de tout ce que je sais,of everything I knowwszystkiemu, co wiem,
 et de tout ce qui me reste à apprendre ;and of everything I have yet to learn ;i wszystkiemu, co pozostaje mi poznać ;
 un contenant de tout lieuthe container of every real or imaginable place,pojemnik zawierający wszelkie miejsce rzeczywiste i wyobrażalne ;
10réel ou imaginable,and yet a non situated container ;pojemnik, ale nigdzie nie umieszczony ;
 et un contenant non situé ;  
 cela même vers quoi je vais,that towards which I go,to właśnie, ku czemu dążę,
 vers quoi se hâtetowards which all the movements of the infinity of describable things rushes.ku czemu śpieszy wszelki ruch nieskończonej liczby wymiernych przestrzeni ;
 tout le mouvement  
15de l’infinité des descriptibles ;  
 et qu’est-ce ?And what is it,?ale co to jest ?
 mais qu’est-ce donc enfin ?what is it, indeed ?co to wreszcie jest ?
 (VII 25)(NT 241)(St 44-45)

Le texte de l’orignal fait l’impression d’être plus contraint, plus accéléré par rapport au fragment discuté plus haut. On constate au début une suite de sept unités rythmiques brèves (4 à 7 syllabes) qui éclate en un décasyllabe à trois anapestes à la  huitième ligne. Dans sa version anglaise, Czesław Miłosz répète assez vaguement ce mouvement rythmique, mais  le remplace par une autre structure dans sa version polonaise : il y introduit un premier « éclatement » dans « co równa się wszystkiemu, co jest, » (v.6) après quelques lignes plutôt compactes, et un deuxième « i wszystkiemu, co pozostaje mi poznać » (v.8), qui en plus reprend à peu près le profil de la ligne « et de tout ce qui me reste à apprendre » (ibidem). Dansles vers 9 à 11, Miłosz semble interpréter le découpage des unités rythmiques autrement que dans notre schéma : il y regroupe parfois les mots dans des unités très longues (« towards which all the movements of the infinity of describable things rushes[21]. » ; « pojemnik zawierający wszelkie miejsce rzeczywiste i wyobrażalne » ; v. 13). On n’oserait pas dire que cette interprétation soit erronée ; Czesław Miłosz a certainement voulu éviter un rythme trop distinct. Ceci correspond d’ailleurs à une pratique qu’on voit assez fréquemment dans son écriture poétique originale. Mais on a de toute façon le droit de constater qu’un travail soigneux a été investi dans le schéma rythmique des trois versions et que ce rythme y fonctionne comme un chiffre pour le thème du rythme traité dans ces passages. Notre petite découverte pourrait donner l’impulsion à la recherche de procédés pareils ou comparables moins dans la prose des essais de Miłosz que dans ses vastes poèmes-traités proches de la prose, mais jamais entièrement prose, comme par exemple Czeladnik (L’Apprenti)[22] avec ses différents registres rythmiques.

*

Après cette excursion dans le domaine du rythme, consacrons quelques observations et réflexions aux questions de composition ou bien d’arrangement des textes. Le volume The Noble Traveller est doublement introduit par une Introduction  de Miłosz (NT 15-48) et une Préface de Christopher Bamford (NT 49-64). La section principale est constituée de deux grandes parties. La première comprend un choix très important de poèmes du poète français, traduits par plusieurs poètes américains. Les poèmes (présentés dans les deux langues) sont extraits de chacun des volumes qu‘ Oscar Milosz avait publiés, en respectant la succession des textes. Ces volumes sont Le Poème des Décadences (1899), Les Sept Solitudes (1906), Les Eléments (1911), Poèmes (1915) ; un poème hors volume apparaît ensuite (Dimanche, 14 mars 1915) ; le reste provient  d’Adramandoni (1918), de La Confession de Lemuel (1922) et du volume Poèmes (1895-1927). Le point final est constitué par le tout dernier poème d’Oscar Milosz,  Le Psaume de l’étoile du matin. La deuxième partie contient, dans la traduction anglaise de Czesław Miłosz, Ars Magna et Les Arcanes, suivies de notes rédigées par Czesław Miłosz et complétées par la rédaction. Un riche appendice complète le volume[23].

Cette composition diffère sensiblement de celle du volume polonais Storge. Ce dernier contient, comme son prédécesseur américain, en plus d’une introduction et de brefs commentaires du traducteur, les cinq traités ou « poèmes métaphysiques » en prose, regroupés sous le titre Ars Magna[24], mais sans Les Arcanes[25]. Ars Magna forme dans Storge le bloc central, qui y apparaît encadré par deux sections de poésies lyriques d’Oscar Milosz, au lieu d’une seule dans The Noble Traveller. Par ce remaniement compositionnel, Czesław Miłosz semble renouer avec la disposition de la première édition du volume La confession de Lemuel (1922) de Oscar Milosz, où le bloc d’ Ars Magna n’existait pas encore et où L’Epître à Storge précédait neuf poèmes lyriques[26]. Les traductions polonaises faites par Miłosz datent d’ailleurs en partie des années 1930[27].

Si le recueil américain regroupe les poésies dans un seul bloc, il apporte néanmoins nettement plus de textes que Storge (et ceci dans les deux langues, anglais et français), tout en englobant l’ensemble des poèmes qui apparaîtront aussi dans Storge. Dans les paragraphes à suivre, nous nous proposons de présenter et de commenter quelques détails de l’arrangement des textes que Miłosz a établi pour son édition Storge. Mais en plus des nombreux petits détails qu’on peut y découvrir, il vaut peut-être la peine de s’interroger sur la ligne directrice dans cette composition, même si cela pose une très grande difficulté. Mais il semble qu’au moins trois éléments y créent une sorte d’intégration : les allusions à la biographie spirituelle d’un poète qui se voit brusquement chargé d’un message sublime, le motif des multiples relations cachées entre misère terrestre et gloire céleste, et les traces d’une transformation de notre « avant, maintenant, après » linéaire en une synchronie où « tout » est impliqué dans le même rythme. La volonté de ‘rythmer tout instant et toute chose’ pourrait être la clé du chiffre qu’incarne et cache la composition du volume Storge. Cette volonté n’est pas visible dans la disposition du volume américain qui sépare poésie et prose du poète français.  Czesław Miłosz, par le biais de la disposition qu’il a choisie pour  Storge, tient à surmonter cette séparation, en mettant les deux catégories sous un rythme compositionnel continu.

*

La première section de Storge est constituée exclusivement de quelques poèmes choisis des Symphonies d’Oscar Milosz, mais dans un ordre modifié par rapport à l’original.  « Insomnie », avant-dernier texte des Symphonies, devient dans Storge le premier poème de la première section lyrique. Le poète y parle de la grande nostalgie qu’il ressent pour sa mère, puis pour la bien-aimée idéale qu’il n’a jamais connue, et pour sa patrie d’enfance, donc la Lituanie historique et imaginaire. Il est évident que cette nostalgie symbolise aussi le désir d’une patrie céleste. En choisissant de mettre ce poème en tête,  son traducteur « lituanien », obsédé, comme on le sait, par une même  nostalgie, accomplit un geste d’identification. Le  mobile supplémentaire qui a guidé  ce choix, c’est  certainement le jeu rythmique de l’original que Czesław a rendu avec une inventivité inspirée[28]

S’ensuivent alors trois symphonies, dans la succession originale, « Symphonie de septembre », « Symphonie de novembre » et « Symphonie inachevée ». Il n’est d’ailleurs pas exclu que ces titres cachent une allusion aux Symphonies d’Andreï Biély. La « Symphonie inachevée » est choisie soigneusement par l’éditeur du volume tant comme texte final de la section que comme prélude à l’ Epître à Sorge, poème métaphysique qui la suit immédiatement. Elle marque un mouvement pluridirectionnel, puisqu’elle retourne à l’ « Insomnie » en reprenant des motifs de la nostalgie lituanienne, de la solitude et du désir d’amour, terrestre et céleste, mais se rapproche aussi, par différentsmoyens, du texte qui la suit, à savoir  l’Épître à Storge. Davantage que dans les autres « symphonies », son intonation ressemble à la prose rythmée du tout premier poème d’Ars Magna. En plus, elle s’adresse à un « amer amour de l’autre monde », à « ma sœur d’ici » absente, et reçoit la réponse d’une voix qui s’appelle « ta dormeuse de Memphis, / Ta mort au pays de la mort, ta vie au pays de la vie » qui le déplace de son chez nous glacial et désert à un « archipel séduisant et [une] île du milieu », où « tout m’aime/Car tout m’a vu souffrir » (II 95, St 30-31). Tout cela peut et doit être lu comme un présage de la personne allégorique nommée « Storge » de l’ Epître qui n’est que le  degré élevé d’une spiritualisation que subit graduellement l’idée de « ma sœur d’ici ».

Cette spiritualisation contient l’idée d’une transformation, et c’est aussi le cas des cinq textes d’Ars Magna, fruit et témoignage de la grande illumination métaphysique que le poète français a vécue en 1914 et qui a changé sa vie et sa perception du monde.

Chacun de ces cinq « poèmes métaphysiques » s’adresse avec une vibration surprenante à un être proche ou aimé, pas toujours identifiable. Ce destinataire peut prendre la forme d’une personne vague : « épouse » (« Renaissance mon épouse »), « compagne », « enfant », « fils » ou lecteur d’un lointain avenir, ou bien celle d’une personne allégorique (comme « Storge »), ou parfois surnaturelle  (dans ce dernier cas, le discours peut prendre le ton d’une prière).

Chacun des cinq textes se caractérise par le développement de l’argument mystique de la révélation,   énoncé à de nombreuses répétitions. Celles-ci manifestent un but initiatique ou didactique, elles soulignent en plus un développement pluridirectionnel et donc non linéaire de la pensée, et confèrent à ce texte un  caractère hautement poétique, à la manière de reprises ou variations musicales.

Les parties finales des textes montrent toujours une teinte d’élévation, soit dans un désespoir sublime comme à la fin de l’Epître à Storge, soit dans une adjuration solennelle du lecteur futur dans Memoria, soit dans une exclamation surprenante comme à la fin de Turba magna : « Je suis libre ! C’est comme si j’étais mort. Salut, univers, mon amour » (VII 68). Ledernier poème, Lumen, témoigne de confiance, de joie et de satisfaction du savoir métaphysique acquis, sans taire les craintes et doutes subsistants. Il présente, sur un ton distinctement lyrique, la synthèse sublime des cinq poèmes métaphysiques d’ Ars Magna, y compris leursdestinataires mentionnés:  le fils, l’enfant, « Renaissance mon épouse », et laMère virginale de la vie. Il y a dans tout cela une chaleur de ton que Czesław Miłosz s’interdit généralement dans sa propre prose, mais il n’est pas exclu que le neveu se soit plu  à enfreindre cette contrainte en traduisant les textes de l’oncle.

Les cinq parties d‘Ars Magna  sont liées entre elles par des transitions, de discrets  contrastes, des reprises et des parallèles qui, dans leur ensemble, produisent un effet de mouvement, de pulsation, de rythme.

*

Avant d’aborder la troisième section de Storge, qui est en même temps la seconde section lyrique, constatons un détail intéressant : il y a un hiatus entre Lumen, le dernier texte d’Ars Magna, et « Nihumim » (Consolations) que Cz.Miłosz a choisi[29] comme premier texte de la seconde partie lyrique du volume. On pourrait s’attendre que l’annexe lyrique après les grandes révélations métaphysiques d’ Ars Magna débute sur une note jubilatoire. Mais le poème « Nihumim » est moins lyrique et sensiblement plus sceptique que Lumen. Il commence  par une grande plainte sur quarante ans d’une vie ratée, et il continue sur un ton plutôt retenu et timide. Mais avec tout cela, «Nihumim » marque le retour au début d’un mouvement oscillant douloureusement entre une grave tristesse terrestre et une confiance spirituelle. Les poèmes qui suivent s’inscrivent dans ce mouvement. Un ton de tendresse amoureuse s’y fait remarquer dans l’adresse réitérée à un vague être féminin, image ou personnesymbolisant l’absence et la nostalgie de la mère, de l’épouse, de l’enfant, de l’âme, de la vie, de la renaissance et de l’éternité. A cette vague destinataire féminine se confronte le poète quadragénaire, jetant un regard rétrospectif sur l’ensemble de sa vie. Celle-ci lui apparaît à ce moment-là comme une vanité, comme des « terrains vagues », face à la mère, l’épouse, la patrie qu’il a perdues ou jamais connues, et face à la secousse épuisante de ses récentes expériences métaphysiques. Tous ces accents ont certainement trouvé un écho spécial chez Czesław Miłosz, poète exilé et déraciné lui aussi,  même après son retour sur le tard en Pologne.

Un autre trait caractéristique de la section est la variété des genres et tonalités lyriques qui y sont représentés. Nous y rencontrons d’abord, dans « Nihumim », le type du vaste poème (« poemat ») avec des strophes et des vers de différente longueur. Comme nous l’avons vu, le titre hébraïque « Nihumim » signifie « consolations » et le sujet parlant y cherche en effet des consolations en contemplant la vanité de sa vie de quarante ans [30]

S’ensuivent trois poésies au caractère clairement lyrique, grâce à leur disposition en quatrains  assez bien structurés : il s’agit des poèmes « H », « La Charrette », et « Les Terrains vagues », qui parlent de la grande tristesse dans la vie d’ici-bas. Voici des extraits du poème « H » :

H[31]

Le jardin descend vers la mer. Jardin pauvre, jardin sans fleurs, jardin

Aveugle. De son banc, une vieille vêtue

De deuil lustré, jauni avec le souvenir et le portrait,

Regarde s’effacer les navires du temps. L’ortie, dans le grand vide

De deux heures, velue et noire de soif, veille.

[…]

Moi je suis là aussi, car ceci est mon ombre ; et dans la triste et basse

Chaleur, elle a laissé retomber sa tête vide sur

Le sein de la lumière […]

[…] Et ici, c’est la sage quarantième

Année, Lemuel.

Le temps pauvre et long.

Une eau chaude et grise.

Un jardin brûlé.

(II 113-115)

Le motif du jardin, connu dans la tradition comme allégorie du paradis, mais apparaissant ici sous une forme dégradée, est repris dans le remarquable poème « Les Terrains vagues » : « ces terrains oubliés, où pousse, ici trop lentement et là trop vite, / Comme les enfants blancs dans les rues sans soleil, une herbe/ De ville, froide et sale, sans sommeil, comme l’idée fixe » (II 124).Un peu plus tard, le  jardin misérable autour de Saint-Julien-le-Pauvre à Paris est évoqué avec grand amour, là « où croît ma sœur l’ortie, obscure, délaissée », et le poète souhaite que dans une autre vie plus sublime « Se ressouviennent, me reconnaissent, me saluent : le chardon et la haute / Ortie et l’ennemie d’enfance belladone. / Eux, ils savent, ils savent » (II 126).

Au lyrisme des trois poèmes est d’ailleurs associée une composante du genre tableau parisien connu depuis Victor Hugo et Charles Baudelaire. Cela veut dire entre autres que le réel concret du quotidien, mais aussi la misère individuelle et sociale, n’échappent pas à ce métaphysicien. Sa manière de réconcilier, dans sa poésie lyrique, la basse réalité et la sphère sublime a probablement été d’un grand intérêt pour Czesław Miłosz qui n’a cessé de lutter pour allier, dans son écriture, le  réel concret et le sublime.

Dans le poème « Talita cumi »  la composante tableau parisien est encore plus nette. Les deux mots du titre sont la version araméenne des paroles du Christ « Fillette, lève toi », adressées à l’enfant morte de Jaïre (Marc 5, 41). Cette parabole de l’Évangile est transformée par le poète en un rappel à une vie de travail qu’il adresse à une pauvre jeune fille qui est en train de se perdre. Celle-ci peut bel et bien être l’allégorie de sa pauvre âme perdue à lui-même, appelée à une renaissance mystique après – ou plutôt dans – une vie terrestre pareille à la mort. Nous voyons ici l’expression d’une idée de synchronie, et non  de développement : la misère terrestre est spiritualisée en tant que symbole paradoxal de la gloire céleste qui est ‘toujours présente’.

Le vaste poème métaphysique « Cantique de la Connaissance », qui mêle hymne et traité poétisé, résume les thèmes de la science sublime exposée dans Ars Magna, science qui englobe également les secrets de la parole poétique. On peut penser que ce texte a présenté un intérêt particulier pour son traducteur polonais d’avant-guerre, puisqu’il préfigure la‘forme spacieuse‘ (forma bardziej pojemna) à laquelle aspirait le futur auteur des trois fameux longs poèmes Traité moral, Traité poétique, Traité théologique.

Le dernier texte de la section et du volume est « La confession de Lemuel », un poème-mystère sous forme d’un dialogue entre L’Homme et Le Chœur ; c’est une confession autocritique avant l’entrée dans  l’éternité.  Lemuel est le nom d’un roi biblique qui signifie « dédié à Dieu » [32]. Celui-ci se confesse devant un chœur sur son parcours qui l’a conduit de l’amour charnel à l’amour divin. Les êtres qui composent le chœur sont peut-être des anges qui étaient « toujours dans l’âme de l’homme » ; ils pleurent et rient avec l’homme et lui accordent à la fin une grâce qui revient à une réconciliation avec lui-même :

L’ HOMME

O merveilleux (et quoi donc prédomine en vous, Chuchoteurs, l’homme ou la femme ?)

Laissez-moi, innombrables que j’aime comme un seul, Beaux à faire mal, insupportablement gracieux Vous demander une grâce.

CHŒUR

Elle est accordée.

(Ils rient)

L’ HOMME

De longues, longues, puissantes années,

Et un immense amour, semblable au vôtre,

Ici-même déjà comme vous autres,

Et une Action, une noble, une haute Action,

Pacificatrice, purificatrice, comme la vôtre,

Ici-même, ici-même, rieurs-pleureurs, comme la vôtre.

(Extraits de « La Confession de Lemuel », II 163-164)

Il y a dans ces paroles une teinte d’humour et un certain optimisme métaphysique qui englobe la vie d’ici-bas et Czesław Miłosz l’a peut-être regardé avec sympathie, puisqu’il  a lui-même choisi de clore le volume Storge sur ce ton. Son arrangement de textes fait preuve d’une  grande maîtrise dans  l’art de composer des ensembles de textes de différents genres, un art qu’il a certainement aiguisé tant dans le contact avec les solutions d’autres poètes, y compris Oscar Milosz, que dans son ample pratique personnelle.

*

Dans sa création, Czesław Miłosz n’a évidemment pas repris tel quel l’optimisme qui marque le finale du volume Storge. La persona du dernier poème de son recueil L’Espace second de 2002 présente une confession post mortem adressée au Seigneur , pleine d’amertume et même de reproches faits au Créateur :

Métamorphoses

Et du chêne vert, jaunes coulaient les miels

          Ovide

[…]

J’ai la nature noire,

La pensée digne de l’enfer,

L’ego vite blessé.

Tel quel Tu m’as voulu,

A Tes travaux convié,

Moi le malheureux.

Ainsi ma vie ridicule

et contradictoire en soi

se renferme [33]

Ce texte puise sans doute dans la tradition polonaise populaire de la kolęda. Mais j’ai récemment découvert une autre allusion possible, à savoir le « Cantique de saint Jean » dans l’Hérodiade de Mallarmé. Cette allusion pourrait mettre en doute toute idée d’une soumission absolue de Czesław Miłosz aux enseignements d’Oscar de Lubicz Miłosz. Voilà ce cantique:

III. Cantique de saint Jean

Le soleil que sa halte


Surnaturelle exalte


Aussitôt redescend


            Incandescent



Je sens comme aux vertèbres


S’éployer des ténèbres


Toutes dans un frisson


            À l’unisson



Et ma tête surgie


Solitaire vigie


Dans les vols triomphaux


            De cette faux



Comme rupture franche


Plutôt refoule ou tranche


Les anciens désaccords


            Avec le corps



Qu’elle de jeûnes ivre


S’opiniâtre à suivre


En quelque bond hagard


            Son pur regard



Là-haut où la froidure


Éternelle n’endure


Que vous le surpassiez


            Tous ô glaciers



Mais selon un baptême


Illuminée au même


Principe qui m’élut


            Penche un salut.[34]


[1]          Le présent texte est écrit parallèlement à mon article Czesław i Oskar Miłosz – dwaj dysydenci współczesności. in Czesława Miłosza « strona północna » . dir. M. Czermińska, K. Szalewska, Gdańsk, Nadbałtyckie Centrum Kultury w Gdańsku, 2011, 297-306.  Je cite les éditions suivantes : O.V. de L. Milosz, Œuvres complètes, vol. I et II (pour les Poésies – volume et page), vol. VII (pour Ars Magna – VII et page), Paris Editions André Silvaire, 1958 et suiv. ; idem, The Noble Traveller; introduction by Czesław Miłosz ; edited by Christopher Bamford, West Stockbridge, Mass. : Lindisfarne Press, 1985 (NT); Oskar Miłosz, Storge, traduit et préfacé par Cz. Miłosz, Kraków. Znak 1993  (St);  Czesław Miłosz, Ziemia Ulro, Paryż, Instytut Literacki, 1977 (ZU); id., La Terre d’Ulro. Méditation sur l’espace et la religion. Tr. fr. Z. Bobrowicz, Paris, Albin, Michel 1985 (TU); id ., Druga przestrzeń, Kraków Znak 2002 (DP).  

[2] « Moim zdaniem Los [czas] jest rytmem mającym źródło w pulsowaniu ludzkiego serca i dlatego działa jako kosmiczny poeta, ratując, przez włączenie w rytm, najdrobniejszą i chwilę i rzecz od bezpowrotnego przemijania, wykuwając w nich kształty niezniszczalne. » ZU, p. 137 ; TU. p. 195-196. Ce fragment fait partie d’une paraphrase-commentaire sur W. Blake.

[3]          Cf. Czesław Miłosz, DP.  

[4]          Pour les relations avec Mickiewicz,  voir L. Banowska, Miłosz i Mickiewicz. Poezja wobec tradycji, Poznań, [Milosz et Mickiewicz. La poésie face à la tradition] WN UAM, 2005.

[5]          « Je n’ai jamais pris Oscar de Lubicz Milosz pour maître en poésie, de même que  je n’ai jamais cherché à l’imiter ou à le concurrencer, me rendant compte que chaque génération possède son style à elle, outre le fait que chaque littérature et chaque langue littéraire évolue selon des lois qui lui sont propres » (TU 108-109 ; v. ZU 84).

[6]          Sur la conception du rythme chez Oscar Milosz et Czesław Milosz, Stanisław Balbus propose une réflexion approfondie  :  «Pierwszy ruch jest śpiewanie ». O wierszu Miłosza – rozpoznanie wstępne [« Le premier mouvement est de chanter ». La poésie de Milosz, premières approches], in  Poznawanie Miłosza [Découvrir Miłosz], red. J. Kwiatkowski, Kraków-Wrocław 1985, 461-521

[7]          « O.W.M. […] chciał zamknąć swoje pisma pod zupełnie pewnym szyfrem, tak żeby nikt nie zdołał się do nich dobrać prócz powołanych » (ZU 150 ; TU, 216).

[8]            Il est probable que Czesław Milosz a été consulté pour le choix des poèmes et pour leur version en anglais.

[9]          Czesław i Oskar Miłosz, op. cit.

[10]         Première publication en 1927.

[11]         Ici Czesław constate d’un côté que qu’Oscar aurait éloigné son style français du polonais, sa première langue, mais qu’il aurait, d’un autre côté, emprunté au slave l’idée d’accorder une importance particulière au genre grammatical de certaines notions abstraites, comme dans les féminins Affirmation, Manifestation, Connaissance, ou dans un masculin comme Orgueil. En plus, il y déplore certaines faiblesses de la langue philosophique polonaise, surtout de celle de la Jeune Pologne (voir ZU 82 ; TU 106-107).

[12]         Storge, op. cit., 6.

[13]         Peut-être les remarques de Cz.Miłosz sur sa situation de poète polonais confronté à plusieurs langues étrangères dans Ziemia Ulro (p.50-51) n’excluent-elles  pas la possibilité d’un pareil enthousiasme.

[14]         « […] Słowacki […] wyrządził wiele szkody utrwalając w Polsce niechęć do myśli religijnej w ogóle, jakby sam polski język do niej w ogóle się nie nadawał: i pod  jego i pod innych mesjanistów piórem zmienia się w rozłazłą, rozpływającą się substancję. », Ziemia Ulro, p. 119 ; [Slowacki n’apporte rien aux hommes de foi et il a fait beaucoup de mal en contribuant à rendre durable en Pologne l’aversion pour la pensée religieuse en général. Il est un fait que sous sa plume comme sous celle de nos autres «messianistes» (…) elle se transforme en une substance flasque, complètement dépourvue de consistance. La Terre d’Ulro, trad. par Zofia Bobowicz, Paris, Albin, Michel 1985, pp. 166-167]. 

[15]         Ibid. , ZU p. 149 ; TU, p. 215

[16]         « Le mouvement est antérieur à la chose qui se meut. Le mouvement, matière-espace-temps, est déjà la chose. Et cependant, il est antérieur à la chose. C’est là l’assise nouvelle de toute la métaphysique de demain »  (VII, 63).

[17]  Il y aurait à faire un parallèle de la pensée d’O.Milosz avec deux grandes théories du 20me siècle, celle de l’ « expansion de l’univers » (Big Bang ; Georges Lemaître et quelques prédécesseurs) et celle de la relativité de Einstein (évoquée dans l’« Avertissement », VII 9). Cz.Miłosz a résumé cette idée dans son poème Czeladnik (L’Apprenti),  partie V, dans DP, p. 102. Dans ma traduction: « J’ai lu l’Epître à Storge comme une révélation, / En apprenant que le temps et l’espace ont leur début, / Qu’ils sont apparus dans un seul éclat, avec ladite matière, / Exactement comme l’avaient deviné les scolastiques médiévaux de Chartres et d’Oxford, / Par une transmutatio de la lumière divine en lumière physique. // Combien cela a changé mes vers voués à la contemplation du temps, / Qui depuis laissait transparaître l’éternité ».

[18]         « Akt Stworzenia jest równoczesny z Ukrzyżowaniem i każda chwila życia na ziemi jest zadanym sobie cierpieniem Boga » (p.  16,  préface de Cz. Mimosz).  

[19]  Une présentation lisible en a été donnée par Jacques Buge, « La ‘métaphysique’ de Milosz (1). (Ars Magna et Les Arcanes) » in : O.V. de L. Milosz, Inédits, Paris Éditions André Silvaire 1959, 149-160; voir aussi Alexandra Charbonnier, O.V. Milosz. Le poète, le métaphysicien, le lituanien, Lausanne L’Âge d’Homme 1996,chap. 6 (pp. 107-134).

[20]         Il va de soi que le texte se prête aussi à d’autres possibilités de découpage.

[21]         La version polonaise admet peut-être une lecture rythmiquement plus articulée: « ku czemu śpieszy wszelki ruch / nieskończonej liczby wymiernych przestrzeni ; » (v. 13).

[22]         DP 91-111

[23]         O. de Lubicz Milosz, A few words on poetry; Mortimer Guiney, Milosz and Symbolism; Edouard Roditi, A Note; Bio-Chronology with photographs; Bibliography; Notes on the translators.

[24]         Epître à Storge ; Memoria ; Nombres ; Turba Magna ; Lumen.

[25]         Je suppose que Cz.Miłosz a abordé aussi une traduction polonaise des Arcanes; elle devrait se trouver dans une des archives.

[26]         Voir la  note de l’éditeur dans II, 131. Si je l’interprète correctement, ce volume contenait après L’Epître à Storge les poèmes suivant: « La Berline arrêtée dans la nuit », « Talita cum », « Cantique de la Connaissance », « La Confession de Lemuel », et puis « H », « La Charrette », « La Gamme », « Les Terrains vagues », « Le Pont ».

[27]         V. Cz Miłosz, Storge, op. cit. 6, et Andrzej Franaszek, Miłosz. Biografia, Kraków Wyd. Znak 2011, p. 154 ; pour les publications de ces traductions v. Rimma Volynska-Bogert & Wojciech Zalewski, Czesław Miłosz – an international bibliography 1930-1980, Ann Arbor The University of Michigan 1983, p.89

[28]         Voir mon  analyse dans Oskar i Czesław Miłosz, op.cit.

[29]         Le choix de Czesław Miłosz  ne respecte pas toujours l’ordre des poèmes figurant dans le volume II des poésies d’Oscar Milosz, mais probablement, il s’est laissé inspirer aussi par les éditions des années 1920 qui comportent une autre disposition et qui ne me sont pas accessibles.

[30]         La quantité des 6 pages (vol. II 103-108) de « Nihumim »n’est d’ailleurs pas beaucoup inférieure aux 8 pages de Lumen (vol. VII, 71-78) qui le précède.

[31]         « H » – consonne ajoutant à un nom (ou une chose) une composante sacrée et royale ; v. le changement de « Abram » en « Abraham » (Genèse 17, 4-5) – v. Storge, 36. Cf. aussi A. Charbonnier, op. cit., 118 et suiv.

[32]         Cf. Proverbes 31, « Paroles du roi Lemuel » 

[33]         DP, p. 115 Ma traduction.

« Metamorfozy

                         I żółte z zielonego dębu sączyły się miody     Owidiusz

            Mityczne miody piłem, / Głowę w laury stroiłem, / Byle nie pamiętać. // Wędrowałem niewinny, / Czuły i dobroczynny / Aż po klepsydrę i cmentarz.  // Ale przed Tobą, Panie, / Na nic moje staranie / O imię sprawiedliwego. // Natura moja czarna, / Świadomość piekła warta, / I uraźliwe ego. /  / Takiego mnie Ty chciałeś, / Do Twoich prac wezwałeś, / Nieszczęśnika. // I tak się niedorzeczny / Żywot i w sobie sprzeczny / zamyka. »

[34]         Stéphane Mallarmé, Sämtliche Dichtungen. Zweisprachige Ausgabe. Übersetzung der Dichtungen von Carl Fischer, München dtv 1995, 56-58.